L’âme de votre entreprise, en un algorithme
Je suis très réticent à l’idée que des gens puissent essayer de diriger ma vie à l’aide de leurs algorithmes. Mon parti pris a toujours été que si vous êtes un robot, j’aimerais que vous restiez à l’écart des décisions importantes auxquelles je suis confronté et auxquelles notre entreprise est confrontée. Je suis très favorable à l’utilisation des « données » et de l’apprentissage automatique. Ce sont les aspects du jugement et des valeurs qui me préoccupent. De plus, comment pourrons-nous continuer à apprendre lorsque les machines se chargeront de tout calculer à notre place?
Cependant, il me semble avoir manqué une occasion en ce sens. Peut-être pouvons-nous structurer la situation de manière à ce que nous asservissions les algorithmes que nous utilisons, plutôt que l’inverse. Peut-être pouvons-nous forcer les algorithmes à préserver notre individualité, plutôt qu’à nous transformer en une grande masse uniforme.
Arrêtez-moi si vous avez déjà entendu cette histoire. C’est une histoire amusante, alors je la raconte souvent. J’aurais sans doute dû réfléchir davantage, et rire un peu moins.
Il y a environ huit ans, EllisDon recevait trop de candidatures pour pouvoir les analyser et y répondre de manière professionnelle. Notre équipe RH a donc (heureusement) déniché un algorithme pour nous venir en aide. Chaque personne souhaitant déposer sa candidature pouvait passer un test rapide, ce qui nous permettait de procéder à un tri précoce efficace. J’ai détesté cette idée. Je ne crois pas beaucoup à la capacité d’un vice-président (ni à la mienne) de prédire adéquatement le succès d’une personne dans la vie quotidienne, et l’idée de confier cette tâche à un modèle informatique me semblait à la fois risquée et négligente.
L’équipe RH a insisté pour que cela soit fait. J’ai continué d’argumenter en retour. Enfin, nous nous sommes mis d’accord pour tester le système informatique et voir s’il était capable de prédire ce que nous savions déjà. En d’autres termes, nous ferions passer le test à certaines de nos personnes de confiance et nous vérifierions si la machine « prédirait » avec précision ce que nous savions déjà de leurs forces et de leurs faiblesses individuelles. Sur un coup de tête, j’ai ajouté mon propre nom à la liste des cobayes.
Vous devinez comment cela s’est terminé, bien sûr. L’algorithme a recommandé à EllisDon de ne recruter en aucun cas son PDG actuel. Cette personne n’aurait jamais pu travailler efficacement au sein d’une équipe et, pire encore, ne semblait pas avoir d’objectifs clairs, ni d’idée de ce qu’elle voulait faire plus tard. Il fallait éviter d’engager cette personne à tout prix.
Nous avons donc bien rigolé à mes dépens, et l’idée a été abandonnée, du moins pour l’instant. A l’exception d’une chose qu’il m’a fallu quelques jours pour comprendre : l’algorithme avait vu juste. Je n’aime vraiment pas travailler en équipe (et je déteste particulièrement les activités de cohésion d’équipe). Selon moi, une réflexion indépendante et une argumentation intense valent mieux que la recherche d’un consensus poli tout au long de la journée. En ce qui concerne le deuxième point, notre conseil d’administration est continuellement frustré par mon refus de me doter d’un plan stratégique rigoureux, et je préfère de loin ouvrir la porte à toutes les possibilités. La question n’est pas de savoir ce qui est bien ou mieux dans ces domaines, mais de constater que l’analyse des candidatures par l’algorithme était tout à fait pertinente, et que l’algorithme n’a pas été impressionné par mon profil.
Voilà pourquoi j’ai pensé à l’époque, et je le pense encore aujourd’hui, qu’il y a là un réel danger et qu’il faut être très prudent. L’algorithme voulait que nos décisions les plus importantes, à savoir le choix d’une personne à embaucher, soient prises en fonction des critères de quelqu’un d’autre. Ces algorithmes utiliseront la sagesse conventionnelle la plus universellement acceptée pour choisir votre personnel, sélectionner la meilleure stratégie à employer, vous dire quelle musique écouter, quelles actions acheter et quelles nouvelles lire. Les vendeurs vous diront qu’il est stupide de s’y opposer. Les idées qui sortent du cadre habituel et la prise de risques intellectuels ne sont pas autorisées.
Jusqu’à ce que cette idée assez évidente émerge enfin, tout récemment : ignorez les vendeurs, payez ce qu’il vous en coûtera et créez votre propre algorithme. Comme les algorithmes sont incontournables, nous devons nous assurer que ceux que nous employons reflètent précisément ce que nous voulons devenir, les personnes avec lesquelles nous voulons cheminer, et les valeurs qui définiront notre vie (et notre entreprise). Nous devons faire le travail difficile de décider exactement quelles sont les caractéristiques de chacune de ces éléments, et trouver le courage de nous engager dans cette voie.
Souhaitez-vous créer une entreprise composée de personnes individualistes qui se livrent à des débats animés ou de personnes qui travaillent en équipe dans un esprit de coopération? Préférez-vous une approche plus risquée et plus rentable ou l’inverse? Qui voulez-vous épouser? Quel genre de musique voulez-vous écouter? Créez votre propre algorithme, puis engagez un génie des mathématiques dont les compétences en matière de codage vous permettront de bénéficier de toute cette singularité, et les choses se dérouleront comme elles le devraient.
Achetez l’algorithme de quelqu’un d’autre pour gérer votre entreprise (et votre vie), et vous vous retrouverez avec l’entreprise de quelqu’un d’autre (et la vie de quelqu’un d’autre). Ces codes constituent peut-être l’élément le plus important de votre avenir numérique; ne devraient-ils pas refléter l’existence unique que vous souhaitez mener? Quel qu’en soit le prix, cela vaut certainement la peine de créer le vôtre.
Ce sera tout. Merci de m’avoir lu. (Megan et moi avons des amis proches qui viennent à la maison ce soir. Nous ne les avons pas vus depuis longtemps, nous avons très hâte. Par contre je ne choisirai probablement pas la musique, ce serait trop de travail, nous nous contenterons de télécharger une liste de lecture sur Spotify. Je déteste vraiment Journey, mais il y a fort à parier que je boucherai mes oreilles à l’écoute du tube « Don’t Stop Believin » dans quelques heures.)